J'ai passé l'examen scolaire final en Angleterre en 1941, un mois avant mon
16e anniversaire. Nous n'avions pas l'argent nécessaire pour me faire faire
de plus hautes études, et mon père m'a donc demandé ce que je souhaitais
faire dans la vie. Je lui ai répondu que je voulais être un reporter. Je ne me
souviens pas exactement de la raison pour laquelle j'ai choisi ce métier,
mais j'ai probablement vu un film dans lequel le héros était reporter, ou lu
un livre sur la vie excitante de Fleet Street à Londres où tous les grand
journaux étaient publiés. Quoi qu'il en soit, mon père me dit qu'il parlerait à
l'éditeur du journal local (The Express and Echo d'Exeter dans le Devon)
pour voir si celui-ci ne pourrait pas m'offrir un poste d'apprenti.
En ce temp-là en Angleterre, l'apprentissage était l'une des voies menant au
journalisme, car cette occupation était considérée comme un métier et un
art plutôt qu'un emploi. Certains jeunes partaient travailler comme copistes
ou messagers afin d'attirer l'attention d'un éventuel rédacteur dans l'espoir
de se voir offrir un reportage. Plusieurs grands journaux trouvaient leurs
journalistes directement dans les universités. Mais la plupart d'entre nous
commençaient comme apprentis. Le père d'un apprenti signait une entente
avec le rédacteur d'un journal afin que son fils (Je n'ai jamais rencontré de
fille apprentie) apprenne le métier en travaillant pour le rédacteur pour
habituellement cinq ans. Parfois le père payait l'employeur afin que celui-ci
enseigne son art au fils, mais dans la plupart des cas le rédacteur
rémunérait modestement celui-ci pour son travail. Dans mon cas, ce salaire
se montait à environ un dollar par semaine pour la première année et un
peu plus à chaque année suivante.
Si vous avez la chance de mettre la main sur l'un de ces contrats de jadis,
vous y trouverez toutes sortes de clauses et de conditions assurant que
l'apprenti mène une vie saine et morale lorsque loin du foyer. Par exemple,
la plupart des apprentis n'avaient pas le droit de boire, d'aller au théâtre,
de forniquer ou de se marier. Ce genre de document, rendant le rédacteur
responsable de l'éducation morale du jeune, n'était plus vraiment utilisé
lorsque je suis devenu apprenti, ce qui n'avait d'ailleurs pas d'importance
car dans le monde en évolution de la Seconde guerre mondiale, les
distractions étaient rares. La plupart des reporters adultes s'étaient enrôlés
dans l'armée et il ne restait presque plus personne pour enseigner aux
jeunes comme moi les rudiments du métier. Nous avons appris en lisant les
journaux de l'époque pour y découvrir les différentes façon de rapporter
une nouvelle et en couvrant des événements locaux pour notre journal.
Nous étions supposés prendre des cours du soir pour apprendre la
sténographie et la dactylographie, mais cela n'était pas souvent possible car
nous devions couvrir plusieurs événements en soirée.
A l'occasion, le reporter en chef appelais l'un d'entre nous dans son bureau
pour lui dicter la pagé éditoriale du Times. L'apprenti devait noter celui-ci
en sténo pour ensuite le re-lire au reporter en chef. Comme je n'étais pas
très doué en sténo, je passais ce "test" en mémorisant l'éditorial du Times
chaque jour, ou du moins en mémorisant assez de phrases pour me
rafraîchir la mémoire au cas où ma sténo ne serait pas assez fiable.
Comme je l'ai mentionné, nous ne recevions pas la formation que nous
étions supposés recevoir. Les choses ne se sont pas améliorées lorsque
quelques mois après mes débuts comme journaliste, Exeter était bombardé
par les Allemands et que les presses du journal furent mises hors d'usage.
La rédaction et l'édition furent confiées à un journal affilié situé 20 miles
plus loin et, par conséquent, tous nos textes devaient être dictés par
téléphone.
Vous vous demandez probablement où je veux en venir avec cette
histoire qui se déroule dans un autre pays et un autre siècle que le
vôtre.
La réponse à cette question est que le contexte de tout histoire est
très important. Rappelez-vous que "pourquoi" est l'une des cinq
questions essentielles du journalisme. Je vous explique ce contexte
afin de mieux illustrer mes dires sur la formation et l'éducation des
journalistes canadiens d'aujourd'hui. Je suis un vieux shnoque (de
73 ans) qui débuta sa carrière dans un pays lointain pendant une
époque révolue. |
Permettez-moi tout de même de continuer à digresser sur le contexte.
Après mon service dans la Royal Navy de 1943 à 1946, je suis retourné
au journal pour y poursuivre mon apprentissage pour deux ans et demi. Si
vous étiez rédacteur de cet article, auriez-vous remarqué que je n'ai pas
terminé mes cinq ans grâce aux dates? J'avais des fourmis dans les jambes
et, avant la fin de mon apprentissage, je suis parti pour un journal plus
dynamique dans une plus grande ville. J'ai dû péché par l'ambition car je
n'y suis resté que moins de deux ans (ce qui fut assez long pour y
rencontrer une femme reporter qui allait devenir mon épouse pour plus de
50 ans) et suis déménagé à Fleet Street - la Rue de l'Aventure, comme
l'appela Philip Gibbs dans un de ses livres. J'ai bien réussi à Fleet Street,
où je suis devenu correspondant politique et diplomatique, mais les fourmis
n'ont pa dû quitter mes jambes car j'ai émigré au Canada en 1956 pour me
joindre au The Globe and Mail, emmenant avec moi ma femme et mes
deux enfants (d'un l'un est maintenant journaliste d'affaires). Commençant
comme simple reporter urbain, je suis devenu successivement chef de
bureau à l'Hôtel de Ville, membre du Comité de rédaction pour y rédiger
des éditoriaux, Assistant-rédacteur, Chef de pupitre pour l'éditorial et, en
1964, chef du bureau d'Ottawa. En 1969, je suis entré au Toronto Star
comme chroniqueur politique.
J'était inquiet du fait que je devais couvrir des événements commes des
conférences sur la Constitution malgré mon ignorance de l'histoire du
Canada. Plusieurs de mes collègues canadiens n'étaient pas plus avancés
que moi, cependant, et je crois même être devenu plus érudit qu'eux
lorsque j'ai décidé d'étudier le sujet moi-même dans les livres. Il y avait
toujours le fait que je ne possédais pas de diplôme d'études
post-secondaires dans un pays où les diplômes étaient de plus en plus
exigés. Lorsque j'ai découvert l'École de journalisme de l'Université
Carleton, une idée m'est venue: les étudiants voulaient apprendre le
journalisme, matière que je connaissais très bien (j'avais gagné à l'époque
trois prix nationaux en journalisme), et moi-même voulait savoir ce qu'ils
connaissaient en matière de politique, d'économie, de littérature ou de tout
autre sujet. Je suis donc devenu enseignant d'un seul cours. J'y ai
découvert que je n'apprendrais probablement pas beaucoup de choses de
mes étudiants. De mon côté, je n'étais pas très doué pour l'enseignement.
Les étudiants me trouvaient intimidant. Je suis heureux de dire que cela n'a
pas empêché plusieurs d'entre eux de devenir de bons journalistes.
Malgré mon manque de talent pour l'enseignement, j'ai beaucoup apprécié
la vie sur le campus. C'est pour cela que je suis petit à petit passé d'un
journaliste donnant un cours à un enseignant écrivant un chronique. Je suis
éventuellement devenu Directeur de l'École de journalisme. Cette position
m'a fait beaucoup réfléchir sur le rôle des Écoles dans l'industrie
journalistique. Plus d'un grand journaliste (par exemple Allan
Fotheringham, célèbre chroniqueur et John Fraser, ancien rédacteur du
Saturday Night et aujourd'hui Maître au Massey College de l'Université
de Toronto) se sont montrés défavorables à l'idée d'écoles de journalisme.
Le journalisme, selon eux, est un talent; on l'a ou on ne l'a pas et ça ne
s'enseigne pas. La façon dont je suis moi-même devenu reporter me
permet d'être en partie d'accord. (L'expression "en partie" me rappelle l'un
des livres satyriques les plus amusants sur le journalisme, Scoop par Evelyn
Waugh. L'un des personnages est Lord Copper, propriétaire d'un journal
et aptes à faire des remarques plutôt exagérées. Au lieu de le corriger, ses
subordonnés disaient "en partie, Lord Copper".) Mais je digresse.
Si par "journalisme", vous parlez de rapporter des nouvelles, la
meilleure formation est de travailler dans une salle de nouvelles ou
de fréquenter un collège offrant un apprentissage pratique. |
Selon moi, les universités ne devraient pas enseigner un métier. Je sais que
les écoles de journalisme le font jusqu'à un certain point. Ils utilisent des
simulations de salles de nouvelles et de studios, et emploient des
journalistes professionnels pour enseigner les bases de la profession. De ce
fait, les élèves sont commme des apprentis payant pour apprendre ce
qu'un vrai employeur pourrait leur enseigner. Ces cours sont tout de même
importants car c'est ce que les étudiants veulent, et les journaux aiment
bien recruter des journalistes à demi éduqués. Ces cours donnent aussi la
chance aux élèves de voir s'ils aiment vraiment le journalisme ou non. Vous
seriez surpris de connaître le nombre de jeunes fréquentant les écoles de
journalisme et qui ne deviendront pas journalistes.
Je crois que moins les écoles de journalisme offrent de cours pratiques,
mieux c'est. Leurs rôles devraient être d'éduquer les étudiants pour une
carrière journalistique. Cela implique l'établissement d'un programme
d'études incluant les arts et les sciences sociales (histoire, politique,
économie, langues, etc) à une étude des médias (histoire du journalisme,
rôle de celui-ci dans la société, loi, théorie des communications, etc).
L'accent devrait aussi être mis, selon moi, sur les aptitudes d'écriture. La
qualité de l'orthographe et de la syntaxe dans les journaux d'aujourd'hui est
déplorable.
Pouvez-vous identifier le problème avec cette amorce typique des
manchettes: "James Smith a plaidé coupable du meurtre de sa femme en
cour hier soir"? Le problème est bien sûr que James Smith n'a pas tué sa
femme en cour. L'amorce devrait plutôt ressembler à ceci: "James Smith a
plaidé coupable hier soir en cour du meurtre de son épouse". Ce genre
d'erreurs apparaît dans les journaux quotidiennement. C'est choquant!
vous dit ce vieux shnoque.
En résumé, si vous désirez faire carrière dans le journalisme, vous devriez
fréquenter l'université. Si ce n'est pas votre cas, essayez de travailler au
journal étudiant de votre collège. Cela vous permettra d'avoir un
avant-goût de la vie de reporter et en même temps vous donnera de
l'expérience pouvant aider à décrocher un poste. Si vous optez pour une
école de journalisme, choisissez-en une qui offre un programme
d'éducation aux médias, plutôt que strictement au journalisme. Si vous
pouvez rassembler de l'information et la présenter à un auditoire de façon
intéressante, plusieurs portes vous seront ouvertes en journalisme et
ailleurs.
Bonne chance!
Anthony Westell